L'insomnie des étoiles by Dugain Marc

Auteur:Dugain, Marc [Dugain, Marc]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Roman Français
ISBN: 9782070119998
Éditeur: Gallimard
Publié: 2010-05-01T23:00:00+00:00

XIX

Louyre retourna à sa chambre, attiré par les lettres. Il les relut une à une, s’efforçant de prendre son temps. Puis il les relut encore une fois. Un bruit le dérangea. Il sortit pour demander le silence. Hubert et un soldat installaient Maria à son étage, dans la chambre attenante. Du dépit et un peu de réprobation pouvaient se lire sur leurs visages. Quand ils en eurent terminé, ils laissèrent la jeune fille seule dans sa nouvelle chambre. Louyre les laissa s’éloigner sans rien dire. Il attendit qu’ils aient complètement disparu, et frappa à sa porte.

Elle se tenait droite, les jambes légèrement fléchies, les mains jointes entre le haut de ses cuisses comme si elle s’apprêtait à adopter une position fœtale pour tourner sur elle-même dans l’apesanteur d’un liquide amniotique imaginaire. On avait le sentiment qu’elle avait quitté la vie pour un moment indéfini et qu’il ne tenait plus à elle d’y revenir. Louyre fut un court moment submergé par l’émotion et incapable de lui dire quoi que ce soit. Elle avait de remarquables yeux bleus. Louyre se racla la gorge avec l’intention de la ramener à la réalité. Il en fallait plus pour amarrer l’esprit de la jeune fille. Alors il s’avança vers elle, il passa doucement sa main devant son visage. Elle finit par réaliser sa présence. Elle menaça de s’effondrer. Il s’approcha et lui prit les bras pour la soutenir. Elle regarda ses mains, elle voulut se reculer, mais déjà collée à la fenêtre, elle se laissa tomber avec le bruit sourd d’un corps qui épouse le plancher en s’évanouissant. Elle se releva aussitôt pour s’asseoir contre le mur.

D’une voix apaisante, Louyre murmura :

— La guerre est terminée, Maria. Nous ne sommes plus ennemis. Tu n’as plus d’ennemis.

Elle se leva soucieuse de digérer dignement l’annonce de cette défaite à laquelle elle ne parvenait pas à croire car elle était tout simplement impossible. Sans se résigner, elle laissa son esprit divaguer sur des considérations plus pratiques.

— Mon père va donc revenir !

Louyre mal remis de son trouble ajusta sa veste.

— C’est possible.

— Il va revenir quand ?

— Je ne sais pas. La démobilisation prend du temps. Et il est peut-être loin. Loin et prisonnier. Tu ne dois pas t’attendre à le voir avant plusieurs semaines, plusieurs mois peut-être.

— Plusieurs mois ? Mon grand-père disait toujours que dix jours après la démobilisation de 1918, il était de retour à la maison.

— Les conditions ne sont pas les mêmes, Maria. Tu vas devoir te montrer patiente.

— Croyez-vous qu’il va m’envoyer de nouvelles lettres ?

— J’en doute. Le courrier est complètement désorganisé.

— Et les lettres que vous avez, vous me les ferez lire quand ?

Louyre affecta un air joyeux et optimiste.

— Bientôt. Dès ce soir, après l’heure du dîner, je viendrai te chercher et nous irons dans ma chambre. Je ne te les lirai que par petits bouts car il faut économiser la lumière.

— Mais pourquoi pas la journée ?

— Parce que la journée, j’ai à faire.

— Vous me les lirez bien, n’est-ce pas ?

— C’est promis.

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